Chapitre VIII - L'arrivée au domaine (2/3).
La dernière étape avant d'atteindre leur but se dessine devant les yeux des jeunes amis, mais devant eux se tient une forêt mystérieuse qui leur barre la route.
Armand rompit le silence après s’être pris pour la troisième fois en quelques minutes une branche dans le visage.
— Je commence à croire que les arbres veulent nous tuer !
— J’suis d’accord, dit Philogène. Soit j’ai pas de chance, soit elle m’en veut à moi aussi, dit-il en se tournant vers Luna.
Mais il ne put l’apercevoir. Ni elle, ni Achille, ni Ajax, ni la charrette ou le cheval.
— Euh… commença-t-il, inquiet. Dis, Armand, où ils sont passés les autres ?
— Comment ça, où ils sont passés ? interrogea Armand en retour.
En se tournant vers le reste du groupe, il s'aperçut qu’il était seul avec le gaillard aux larges épaules.
— Mais… Quand est-ce qu'ils nous ont quittés ?
— Justement, j’en sais trop rien… Luna ! Achille ! Balios ! Ajax ! appela-t-il d’une voix forte.
Seul le silence répondit à son appel. Il n’y eut même pas d’écho, comme si la forêt avait mangé ses cris. Ils se tinrent droit comme des piquets, l’oreille tendue, essayant d’entendre une quelconque réponse, en vain. Armand promena son regard au loin. Il remarqua soudainement que la forêt était moins dense. Les ronces avaient disparu. Les arbres étaient plus espacés et élancés, et non trapus. La voûte que constituaient les feuillages s’élevait aussi bien plus en hauteur qu'auparavant. De même pour la terre meuble qui remplaçait le tapis de mousse humide.
— J’imagine que Luna et Achille ont voulu se reposer cinq minutes et qu’on les a perdus, théorisa Philogène.
— Hmm, sans doute, répondit Armand. En tout cas, je crois que nous aurons du mal à aller plus profond dans la forêt. C’est incroyable, je ne l’aurais jamais imaginée aussi étendue.
— Moi non plus, mais ‘faudrait qu’on se dépêche de trouver la maison, sinon on va rester ici tout l’après-midi. J’arrive même pas à savoir combien de temps on a marché depuis qu’on est rentrés dans le domaine… dit Philogène, qui parlait sans regarder son ami, trop occupé à scruter les profondeurs de la forêt.
Un très fin voile de brume couvrait le sol jonché de feuilles mortes.
— À toi aussi, ça te fait cet effet ? Je croyais être le seul. Je ne sais même pas comment nous avons pu nous retrouver ici. Ce coin me donne la chair de poule, je n’ai vraiment pas envie d’y rester. Tu veux quand même que nous attendions cinq minutes ? Il y a un arbre qui est tombé juste là, nous n’avons qu’à nous asseoir dessus, proposa le garçon en pointant du doigt un tronc allongé à même le sol.
— Qu’est-ce que c’est que… Dis, tu vois ce que je vois ? demanda Philogène, le regard perdu au loin.
— Quoi, un arbre ? questionna ce dernier, perplexe.
Il dirigea son regard dans la même direction que son binôme. Il ne vit rien de particulier. Tu débloques, Philogène, il n’y a absolument rien.
— Si, j’ai vu quelque chose bouger. Une grosse chose, en plus.
— Quoi, tu as aperçu un sanglier au loin ?
— Non, t’es bête, répondit Philogène. Tu viens voir avec moi ? demanda-t-il.
Il posait la question sans attendre de réponse.
— Euh… Non, je ne ressens pas l’envie de venir voir la bête bizarre que tu as vue au fond des bois. Nous sommes censés aller par là ! dit Armand en se tournant dans l’autre sens. Je suis persuadé que la sortie est dans cette direction. Qu’en penses-tu ?
Il n’obtint pas de réponse de la part de Philogène, qui avait choisi de partir investiguer le fond des bois.
— Oh et puis débrouille-toi tout seul, murmura Armand à lui-même.
Il partit dans la direction opposée, espérant trouver au plus vite la sortie de la forêt. Il marcha un certain temps, sans savoir s’il se perdait encore plus qu’il ne l’était ou s’il s’approchait de son but. Il se sentait étrangement calme, seul dans la forêt. Il aperçut la lumière du jour s’infiltrer entre les arbres à une bonne trentaine de mètres. Armand s’y dirigea. Il fit irruption dans une petite clairière circulaire cachée au sein de la forêt, au centre de laquelle se tenait une statue. Elle représentait un homme, habillé d’une longue cotte de maille, une épée à la main. Un aigle était perché sur son épaule, et un serpent se trouvait écrasé par son pied.
— Éloi d’Alquian, le premier des Gardiens, murmura Armand. Tu ne te sens pas seul, ici ?
La statue du premier Gardien n’avait cure des nouvelles d’un temps si lointain pour lui. Sa vie et sa mission avaient pris fin il y a bien longtemps.
— Bon. Si tu insistes, je ne t’embête pas plus. Sache qu'à ta place j’aurais un petit pincement au cœur en voyant l’état pitoyable de ta famille, enfin, de ce qu’il en reste. Ad angusta per augusta*, ajouta-t-il après une pause avec un brin d’ironie.
*Ici, Armand reprend et modifie la locution latine Ad augusta per angusta, signifiant littéralement : “Aller aux grandes choses par les chemins étroits”. Il en inverse le sens, donnant par la même occasion une phrase au sens nouveau “Aller aux choses étroites par les grands chemins”.