Chapitre VIII - L'arrivée au domaine (1/3).

La dernière étape avant d'atteindre leur but se dessine devant les yeux des jeunes amis, mais devant eux se tient une forêt mystérieuse qui leur barre la route.

HUBERT Titouan

1/22/20245 min read

          Finalement, l’accueillant mais étrange couple ne tenta pas de les voler durant la nuit, en dépit du sommeil de Philogène. Ils se posèrent tous la même question : Qui étaient-ils vraiment ? Le groupe d’amis n’avait pour le moment pas de réponse, mais ils n’avaient pas non plus le temps d’en chercher. C’était un autre secret qui s’ajoutait à la liste des affaires à résoudre. Des interrogations plein la tête, ils s’en allèrent le plus tôt possible de la ville, allèrent chercher Balios et la charrue, puis marchèrent vers le Nord durant deux heures et demi dans une campagne encore endormie. Il devait être à peu près neuf heures lorsqu’ils arrivèrent à la dernière étape de leur voyage. La forêt du domaine se tenait devant eux, haute et menaçante, cachée derrière un mur de pierre. Derrière elle au loin, de là où ils venaient, s'éveillaient les champs, cachés sous la brume épaisse qui allait se perdre dans les bois. Ils marchèrent dix minutes avant de trouver un imposant portail en fonte couvert de ronces que personne n’avait ouvert depuis plusieurs décennies. Achille tenta de l’ouvrir.
— Mhgn… grommela-t-il. C’est impossible de l’ouvrir, les ronces ont bloqué l’entrée, finit-il par dire à ses amis.

— Mouais, pas si sûr. Laisse-moi essayer, lâcha Philogène à l’attention d’Achille.

          Le mastoc empoigna l’un des battants du portail et le secoua de toute sa force. À chaque va et vient, il réussissait à défaire d’un ou deux millimètres l’emprise des plantes sur le grand portail. Sa respiration haletée était accompagnée de grognements sauvages. Il s’agita encore et encore comme un enragé jusqu’à ce que d’un coup les ronces se décrochement avec un grand bruit.

— Haaa, haa, haa… Philogène soufflait comme un bœuf. ‘Oilà… C’est fait… Ouf ! Pouah, c’est épuisant hein, finit-il par dire à l’adresse de ses amis. Quoi ? demanda-t-il en voyant Armand et Luna totalement dépités.

— Tu sais, il y avait une autre entrée, plus petite, juste à côté, lui avoua Armand. Il se décala de deux mètres sur la gauche et repoussa un buisson, révélant un petit portique.

          À peine Armand eut-il posé sa main sur la poignée que ce dernier s’ouvrit docilement, avec un léger grincement.

— En plus, maintenant, nous allons devoir supporter ton odeur nauséabonde. Tu pues la sueur, bravo ! se plaint Luna d’une voix nasillarde en se pinçant le nez.

— C’est bon, j’ai compris, j’essaierai plus de vous aider ! De toute manière, faut bien faire entrer le cheval et la charrette nan ? répondit Philogène, mécontent.

          Un hennissement vint lui répondre de l’autre côté de la grille. Achille, accompagné de Balios, regardait avec un petit sourire leur ami tout essoufflé.

— En fait, à dix mètres, par-là, le mur est effondré, ajouta Achille qui ne pouvait retenir sa joie.

          Philogène se contenta de froncer les sourcils et se remit en marche. L’immensité des chênes et des frênes qui composaient les bois empêchaient une bonne partie de la faible lumière matinale de pénétrer en son sein. De la terre naissaient de grosses racines qui formaient ensuite d’épais troncs noueux. Eux-mêmes se séparaient à plusieurs mètres de hauteurs en une myriade de branchements qui constituaient un labyrinthique plafond sylvestre. Les gros arbres feuillus et le sol mousseux faisaient de la forêt une prison d’où aucun son n’entrait ni ne sortait et malgré cela, il y régnait une atmosphère étrangement paisible. Tout était pétrifié par les âges. Même les cris d’oiseaux ou le ruissellement de petits cours d’eau ne se faisaient pas entendre. Les pas des voyageurs, le bruit des sabots de Balios au sol ou bien le roulement sonore de la charrette n’étaient presque pas audibles non plus. Dans la forêt, il sembla que tout son finissait irrémédiablement par s’atténuer, jusqu’à n’être quasiment plus perceptible. Ils avaient marché un bon quart d’heure lorsque Philogène prit la parole.

— C’est vraiment pas très accueillant par chez toi, Achille, déclara-t-il mal à l’aise.

— En même temps, je crois que cela fait longtemps qu’un garde-chasse est passé, répondit ce dernier.

— Je confirme, vu l’état de la flore... continua Luna. Je n’ai jamais vu autant de ronces… Il n’est pas possible qu’elles prolifèrent autant.
         
À peine eut-elle dit cela qu’Armand manqua de tomber tête la première dans un buisson épineux.

— Holà, mon grand, dit Philogène en retenant par le bras son ami. Faut faire attention où tu mets les pieds. Voyez, continua-t-il, tourné vers Luna et Achille, moi, je fais bien attention.

— Branche, prévint froidement Luna.

— Branche ? demanda-t-il, interloqué, avant de se cogner violemment la tête contre une branche. Branche, en effet oui, dit-il en se massant le front.

          Luna fut la suivante à ressentir une douleur vive la prendre au cou.

— Il y a aussi quelques insectes, prévint-elle sans broncher. Je viens de me faire mordre, ou piquer. En tout cas, plus vite nous aurons atteint la demeure, plus vite nous serons capables de nous reposer, acheva-t-elle en se figurant boire un bon thé chaud au coin d’un feu de cheminée.
         
Balios et Ajax allaient sans broncher, impassibles aux côtés de leurs humains. L’exercice était long et éprouvant, tant physiquement que mentalement. Les mêmes rochers, les mêmes flaques de boue et les mêmes buissons les accompagnaient le long de la route.

— Mais ce n’est pas possible, nous tournons en rond ou quoi ? se plaignit Luna.

          Aucun de ses amis ne lui répondit, à l’exception d’Achille qui lui adressa la parole :

— Mmh…

          Elle n’entendit qu’un lointain bourdonnement. Elle aurait voulu demander à Achille de répéter, mais elle était trop fatiguée pour le faire. Luna se sentait exténuée, mais aussi ennuyée de ne pas savoir vers où ils se dirigeaient. Elle prit Achille par la manche afin qu’il s’arrêta un instant avec elle.

— Attends, Achille, lui dit-elle.

          Ses paupières étaient lourdes, si lourdes qu’il lui était même difficile de parler.

— Quoi ? eut du mal à répondre Achille, qui avait l’impression qu’on avait rempli sa tête et ses oreilles de coton.

— Achille… On a… Un problème. Monte sur la charrette… Laisse Balios nous conduire.

          Achille prit une bonne minute à déchiffrer ce que lui avait dit Luna. Ils finirent par monter, ou plutôt tomber dans la charrette. Ils tombèrent bien vite dans un profond sommeil sans rêve, bercés par les pas de Balios et les vibrations des charrois.

Chapitre VIII - L'arrivée au domaine.