Chapitre VII - Les Guéveaux (2/2).
Le groupe se réunit chez les Guéveaux, avant de repartir pour le domaine.
Le changement d’atmosphère d’un étage à l’autre de la maison était absolu, notamment parce que le reste de la demeure était propre et parfaitement rangé. Une myriade de plantes en pots accompagnait des ouvrages magnifiquement agencés, non seulement par ordre alphabétique, mais aussi selon leur taille, leurs couleurs et leur type, dans un miracle organisationnel.
— La pièce est exceptionnellement bien agencée, la félicita Luna. J’en connais un qui serait incapable d’en faire autant, dit-elle en accusant Armand du regard.
— Hé, pourquoi moi tout seul ? s’indigna Armand.
— Parce que Philogène est absent, lui répondit Luna avec un sourire.
— Asseyez-vous, mon mari et moi allions justement passer à table, dit madame Guéveaux.
Les trois jeunes gens s’attablèrent et furent bientôt rejoints par madame et monsieur Guéveaux, qui apporta quelques minutes plus tard un bon plat de canard et de pommes de terre à ses invités.
— Vous faites toujours autant à manger ? demanda Armand, curieux. Cela fait beaucoup de nourriture pour deux.
— Non, nous attendions votre visite, voilà tout, lâcha l’air de rien monsieur Guéveaux. Par ailleurs, quel vacarme il y a dehors. Savez-vous ce qui en est la cause ?
— Une bagarre entre une bande de criminels et les forces de l’ordre, expliqua rapidement Achille. Mais euh… Vous nous attendiez ? Comment ça ? demanda-t-il, inquiet.
— Moui, on nous a demandé de vous attendre ici, répondit monsieur Guéveaux la bouche pleine en glissant une lettre sur la table.
Achille la prit et la lit. C’était une lettre des abbés du monastère demandant au couple d’accueillir Achille et Armand à Bayeux.
— Quoi ? Mais… Comment ?
— Vous pensiez qu’ils vous laisseraient partir sans s’assurer de votre sûreté ? demanda monsieur Guéveaux, toujours en mangeant. Ils nous ont affirmé que vous passeriez par Bayeux. Nous avons préparé depuis des mois votre venue, continua-t-il, l’air de rien. Nous laisserons à l’Abbé Marc le plaisir de vous donner des détails.
— Ne vous en faites pas, nous vous accueillons ici avec plaisir, les rassura madame Guéveaux.
— Alors, le Père Abbé Marc est présent quelque part par ici ? s’exclama Achille, qui n’en revenait pas.
— Il devrait l’être, oui, répondit madame Guéveaux. Il devrait l’être.
De son côté, Philogène était totalement essoufflé. Il s’arrêta de courir un instant, épuisé, seul dans les rues de Bayeux. Il entendait les échos de la cacophonie des tirs au loin. Un vieux moine qu’il ne connaissait ni d'Êve ni d’Adam vint le voir. Il était barbu et bedonnant, un fusil pendant de ses épaules en bandoulière.
— Jeune homme, ne chercherais-tu pas tes camarades ?
— Euh… Oui, répondit Philogène, ne sachant quoi répondre. C’est vous, l’abbé dont Achille ne cesse de nous rabattre les oreilles ?
— Ah, oh, oh, fit-il de sa voix enrouée. C’est bien moi ! Je vois que vous êtes vif d’esprit.
— Comment nous avez-vous retrouvés ? Vous nous avez suivis ? demanda Philogène sans plus attendre.
— Disons que j’avais une idée d’où vous alliez, et puis je vous ai aperçus, tout à l’heure, affirma-t-il d’un air mystérieux.
Il fouilla dans sa poche et en sortit une petite clef.
— Tu donneras ça à Achille, c’est la clef du secrétaire du bureau de son père, au manoir. Il en aura besoin.
— Bien. D’autres choses à me dire, papi ?
— Non. Je saurai venir vous retrouver quand il le faudra. Ah, et un conseil : garde un œil sur le jeune Lenoir.
— Armand ?
— Oui. Maintenant, pars, va à cette adresse, ils doivent se faire un sang d'encre pour toi, dit le vieux prêtre en indiquant une rue et un numéro au jeune homme.
Philogène retrouva sans mal ses amis qui furent plus qu’heureux de le retrouver en un seul morceau. Après avoir échangé un certain nombre de politesses avec monsieur et madame Guéveaux, ils allèrent se coucher dans la chambre qui leur était allouée.
— Tu as vu l’Abbé Marc ? demanda Achille, extatique.
— Oui, et si tu veux mon avis, il est un peu étrange, ton Abbé… Enfin. Il m’a donné ça, dit-il en tendant la clef, il lui expliqua à quoi elle servait. Bref, je propose d’aller dormir. Demain, nous devrons partir très tôt, récupérer le cheval, et marcher jusqu’à la forêt qui entoure ton domaine, Achille. Derrière elle se trouve ton manoir. Des questions ? acheva Philogène.
— Mis à part l’étrangeté de leur accueil, rien à redire, lâcha Luna.
— En tout cas, ils ne nous ont pas menti, l’Abbé était bien présent dans le coin, fit remarquer Achille.
— Moui, si tu veux, concéda Armand. Reste qu’ils sont bizarres. Dis, tu en penses quoi, toi, Philogène ?
— Absolument rien, répondit Philogène. On n’a qu’à faire des tours de garde, au cas-où ils tenteraient de nous dévaliser. Je prends le premier, et on tournera.
En réalité, personne, mis à part Philogène, n’avait envie de faire un quelconque tour de garde. Luna se contenta de rouler ses yeux avec dépit vers ses amis, l’air de dire “encore une de ses lubies inutiles, laissons-le dans son coin”. Personne ne trouva utile de débattre plus longtemps sur le sujet. Exténués, ils se mirent au lit sans plus parler.