Chapitre VII - Les Guéveaux (1/2).
Une rencontre improbable permet au groupe de se cacher des autorités, le temps que Philogène arrive...
Plus loin, Luna, Armand, Achille et Ajax, toujours impassible, s’étaient réfugiés dans un petit parc.
— Plus jamais, dit Achille, essoufflé, les mains sur les hanches. Quel enfer !
— Nous ne sommes même pas arrivés au domaine que j’ai déjà envie de repartir, surenchérit Armand.
— J’ai vu pire, lâcha Luna d’un calme olympien, comme si de rien n’était.
Elle fouilla dans ses cheveux, en sortit une épingle à nourrice et demanda :
— Armand, sais-tu crocheter une serrure ?
— Euh… Non. Non, je ne sais pas crocheter une…
— D’accord. Laisse tomber.
Elle s’assit en tailleur et joua de l’épingle pendant quelques instants. Et… clic !
— Voilà. Libre. Avancez vos poignets.
Les deux garçons la regardaient d’un air incrédule.
— Tu as quel âge Luna, déjà ? demanda Armand.
— Quatorze ans dans deux mois. Pourquoi ?
— Où tu as appris à faire ça ?
— Pas tes affaires. Allez, vos poignets, les garçons.
Armand et Achille échangèrent des regards circonspects. Ils décidèrent conjointement sans mot dire de ne pas creuser l’affaire pour l’instant et lui tendirent leurs poignets encore menottés.
— Que vous feriez-vous sans moi ? Heureusement que le chat n’a pas besoin qu’on s’occupe de lui autant que vous ! ironisa-t-elle au plaisir d’Ajax qui frotta son dos contre la jeune fille. Bon, maintenant, nous devons trouver un endroit où se cacher, reprit-elle. Une idée d’où dormir ? D’autant plus qu’il ne faudrait pas oublier Balios.
— Honnêtement je ne sais pas trop où nous pourrions rester. Et pour le cheval, j’imagine que nous pouvons simplement aller le chercher à l’étable où nous l’avons laissé, répondit avec lassitude Armand en se massant les poignets. Demain matin, très tôt, nous pourrons le récupérer.
Achille et Luna acquiescèrent.
— Au fait Luna, reprit Achille, es-tu sûre que Philogène ira bien ?
— Oui, il est avec son père. C’est compliqué chez eux, mais on s’y fait.
Les garçons n’osèrent même pas relever l’absurdité de sa réaction face aux évènements qu’ils venaient de vivre, notamment parce qu’ils avaient peur de l'énerver en posant trop de questions. Après tout, elle était la meilleure amie de Philogène, c’est-à-dire une personne qu’il ne fallait pas trop pousser à bout, pensèrent les garçons.
— Nous pouvons toujours demander à quelqu’un de nous héberger, proposa Achille.
— De toute manière, nous n’avons pas vraiment de meilleures options… acquiesça son amie.
Achille et ses amis déambulèrent dans les rues, espérant trouver un endroit où dormir, quand une voix familière les appela.
— Pssst, par ici !
Une petite femme à lunettes, légèrement décoiffée, se tenait à l’autre bout de la rue. C’était la femme qui tenait le café dans lequel Achille avait rencontré quelques semaines plus tôt Claire d’Honniroy.
— Vous, mais… Comment ? articula avec difficulté Achille.
— Pas le temps de tout expliquer pour le moment, lança à la volée la dame. Suivez-moi !
— La connais-tu ? s’étonna Luna.
— C’est long à expliquer, mais oui. Allons-y ! s’exclama Achille.
Les trois amis avaient suivi la dame jusque chez elle, en prenant bien garde de ne pas se faire repérer.
— Je vous préviens, le sous-sol, c’est sa partie de la maison à lui, prévint la dame avant qu’ils ne furent entrés dans la maison. Moi, j’ai le rez-de-chaussée et l’étage, reprit-elle. Mon mari nous rejoindra là-haut dans quelques instants, ne vous embêtez pas avec lui. Quand il travaille, il n’entend plus rien. Ah, et faites bien attention à où vous mettez les pieds.
Le trio passa par le jardin et entra dans la maison. Un écriteau indiquait qu’elle était celle de “monsieur et madame Guéveaux”. Ils pénétrèrent par la porte de la cave qui se trouvait être à moitié souterraine. Quelques petites fenêtres permettaient de l’éclairer un tant soit peu. Une fois entrés, devant leurs yeux ébahis se dessina la caverne d’Ali Baba du libraire, si tant est qu’Ali Baba eut une peur bleue du rangement. Une très forte odeur de thé noir remplissait l’entièreté de ce qui faisait office de bureau à monsieur Guéveaux. Des piles de livres gigantesques étaient éparpillées ça et là. Les étagères murales souffraient sous le poids d’énormes tomes, tant et si bien qu’il semblait qu’elles pouvaient céder à tout instant. Une guitare et un violon trônaient entre un globe terrestre et un amoncellement de lettres. Au fond de la pièce, des tasses sales empilées tenaient compagnie à une vieille malle en cuir sur laquelle un papier avait été maladroitement accroché. On y lisait :
CETTE MALLE NE RENFERME RIEN D'INTÉRESSANT NI DE MYSTÉRIEUX,
NE PAS OUVRIR NI VOLER S.V.P, MERCI.
Au centre de tout cela, sur une table presque rangée, le vendeur du café-librairie griffonnait avec acharnement dans un gros carnet. Il lui arrivait aussi de tourner frénétiquement les pages de gros dictionnaires et autres ouvrages scientifiques étalés devant lui. Il laissait parfois échapper des grommellements indistincts, ou des bouts de phrases incompréhensibles. Avec ses grosses lunettes et sa moustache mal rasée, il tenait plus de la taupe que de l’homme. Une petite assiette dans laquelle reposait un bout de comté à moitié mangé et de la mie de pain pouvait cependant faire pencher la balance du côté de la grosse souris.
— C’est désespérant… laissa couler sa compagne. Allez les enfants, montons, fit-elle en empruntant l’escalier qui menait au rez-de-chaussée.