Chapitre VI - Un voyage mouvementé (2/2).

Les quatre amis sont arrêtés par les forces de l'ordre et se retrouvent presque pieds et poings liés, jusqu'à l'arrivée opportune de connaissances importunes.

HUBERT Titouan

1/8/20246 min read

— Vous ne pouvez pas nous arrêter sans raison, soutint Armand.

— Nous vous arrêtons pour association de malfaiteurs. En prenant part à l’attaque du train commise par la bande à Rasca, vous vous êtes tous rendus coupables au même titre qu’eux.

— C'est injuste ! commença Achille, nous étions poursuivis par eux, non pas leurs alliés !

— Ah oui ? ironisa le sergent. Dans ce cas, pourquoi avons-nous pu vous voir manger gaiement avec l’un des chefs de la bande à Rasca ? dit-il en se tournant vers Philogène. Vous ne sembliez pas si dérangés que ça de soutenir la présence des uns et des autres.

          Et sans dire plus de mots, les soldats emmenèrent le groupe d’amis, ignorant les protestations d’Achille et d’Armand et les miaulements indignés du chat. Ils suivirent les soldats, contraints par les fers.

— Maître Peccini, ne pouvez-vous pas leur expliquer que je ne suis pas un criminel ? demanda désespérément Achille au notaire à mi-voix.

— Je le voudrais bien, monsieur d’Alquian, répondit-il de sa voix caverneuse, mais cela m’est impossible. Les faits sont les faits. Je ne suis pas avocat.

— Peut-être, mais vous pouvez bien au moins nous aider ! plaida le garçon.

— Si seulement… Mais je me vois dans l’impossibilité de le faire. Saviez-vous par ailleurs, dit-il en se penchant à l’oreille d’Achille, que si jamais il vous arrivait de ne plus pouvoir effectuer votre devoir de Gardien, le testament de vos parents stipule que le notaire chargé des affaires familiales se verrait obligé de détruire votre héritage ?

— Comment ? lâcha Achille, incrédule.

— On ne peut pas se permettre de laisser un pouvoir tel que celui de la Rose dans les mains d’un criminel… On ne peut pas non plus laisser au hasard le choix d’un nouveau Gardien. Quel dommage. Vous voir devenir ce que vos parents craignaient, malgré leurs efforts pour faire de vous une sainte-nitouche. C’en est presque pathétique.

— Traître ! siffla Achille entre ses dents. Vous devriez avoir honte de vous-même.

— N’allez pas si vite en besogne. Moi, je suis votre notaire, pas votre père, c’est lui le véritable traître dans cette histoire. Tout est de sa faute, savez-vous, dit-il avec délectation. Sa lâcheté n’aura eu d’égal que ses échecs, dont vous êtes l'œuvre ultime.

— Allez au diable. Vous récolterez ce que vous avez semé.

— Quelle fougue vous avez, jeune homme, pour quelqu’un dont les poignets sont dans les fers et dont la nuque se trouve si proche d’une baïonnette. Enfin, c’est toujours plus de courage que votre paternel n’a jamais su en faire preuve. Je vous retrouverai plus tard, monsieur, termina Maître Peccini, avant de partir d’une marche débonnaire.

          Achille sentit ses entrailles se serrer. Il allait finir en prison, il avait déshonoré sa famille. Jamais il ne pourrait réussir à protéger la Rose dans ces conditions. Toute sa lignée, tous ses ancêtres, se seraient donc battus pour rien ? Lui, Achille, aurait réussi à tout perdre en l’espace d’un instant, aux mains rachitiques de cet homme froid et calculateur ?

— Je suis désolé, dit Philogène. C’est de ma faute.

— Je croyais que tu avais rompu les ponts avec la bande à Rasca ! Pourquoi sommes-nous arrêtés ? C’est injuste ! pesta Armand.

— Oui, mais va leur expliquer à eux… répondit l’intéressé.

— Nous n’avons plus qu’à espérer une chose… se lamenta Luna.

— Non, Luna ! On ne peut pas s’y résoudre ! la coupa Philogène.

— Nous devons pourtant espérer qu’il vienne ! renchérit la jeune fille.

— Mais de quoi parlez-vous ? Je n’y comprends rien ! se plaignit Armand.

          Achille restait silencieux.

— Elle parle de mon père, répondit Philogène, honteux.

— Quoi, ton père ? demanda Armand, impatient.

— N’as-tu pas entendu ? demanda Luna. Le nom de famille de Philogène, c’est Rasca. Son père est le chef de la bande à… bah de la bande à Rasca, laissa-t-elle tomber en un souffle.

— Quoi ? Mais ils ont voulu nous tuer ! Et lui avec ! s’étranglèrent Achille et Armand.

— Oui. Il n’est pas bien plus intelligent que son fils, reprit leur amie. Il est presque pire, même.

— Merci, c’est gentil, lâcha Philogène.

— Mais tu n’es pas en conflit avec ton père ? interrogea le jeune d’Alquian.

— Euh… C’est plus complexe que ça, admit Philogène. La famille Rasca c’est… le bazar.

— Admets que nous aurions besoin de lui, tenta Luna.

— Non. Mon père peut rester en dehors de cette histoire. Et Môman, c'est même pas la peine d'y penser, sauf si vous voulez finir plus vite que prévu six pieds sous terre. La pire des choses qui pourrait arriver, c’est qu’il débarque avec le reste de la bande et qu’il cause un cataclysme en pleine ville.

— Fermez-là ! beugla l’un des soldats. On en a marre de vous entendre piailler. Marchez et taisez-vous, sinon je…

          Il fut interrompu par un hurlement magistral.

— PHILOGÈNE ! hurla un homme d’une voix de gorille derrière eux.

          Tout le monde dans la rue se tourna vers lui.

— Oh, non… commença celui qu’on avait appelé.

          Un homme gigantesque qui faisait le poids de trois, plus grand d’une tête que tous les passants, fit irruption. Ses yeux de hibou écarquillés étaient écrasés par ses sourcils froncés absolument énormes. À sa mâchoire géométrique taillée dans le roc, Armand et Achille comprirent en un instant de qui il était le père. Derrière lui accouraient des hommes en pantalons de velours à taille haute et à vestons noirs en laine épaisse. C’était la bande à Rasca. Le sergent prit son sifflet et lança un signal d’alerte aux soldats. Tout se passa très vite. La bande fondit sur les soldats alors que ceux-ci fixaient leurs baïonnettes aux canons des fusils. Des coups de feu éclatèrent de toutes parts et une fumée blanche épaisse remplit l’air. Achille, Armand et Luna prirent la fuite.

          Maître Peccini avait déjà disparu. Le sergent se joint au combat en jouant du sifflet et en appelant du renfort. Tout en distribuant des gifles à qui mieux mieux, Rasca père se dirigea vers son fils.

— Alors, c’est ici que tu oses te cacher, vermine ? Tu pensais pouvoir me voler la carte et tout garder pour toi, fils indigne ? Ha ! Même pas capable de te constituer une bande digne de ce nom, tu n’en finis pas de me décevoir !

— Tu ne mettras jamais la main sur la Rose, Papa, je t’en empêcherai !

— Imbécile ! hurla son parent.

          Il fit voler sa main calleuse dans le visage de son fils, ce qui l’envoya au sol...

— À peine des poils te poussent au menton que tu te sens pousser des ailes, hein ? Tu verras, tu rentreras bien vite bien gentiment chez ton père, c’est moi qui te le dis !

— C’est faux ! rétorqua Philogène qui fit valser son crâne dans le menton de son géniteur en se relevant. Jamais plus je ne ne t’obéirai, Papa !

— Mon œil ! beugla ce dernier en écrasant son coude sur la nuque de son enfant. Je te donne trois mois avant que tu ne reviennes à genoux implorer mon pardon ! Tu es la chair de ma chair, le sang de mon sang, je te connais mieux que toi-même, je t’ai foutu au monde, sale garnement, lui siffla-t-il à l’oreille en le prenant par le col. Je te laisse trois mois, après quoi tu seras en sursis.

          Il rugit d’un rire si fort qu’il se fit entendre par-dessus le son des coups de feu. Au même instant, d’autres soldats firent irruption dans la rue, au grand plaisir de monsieur Rasca qui ne voulait qu’en découdre. De toutes parts, les soldats en uniformes bleus et blancs se battaient avec acharnement contre les innombrables brigands aux ordres de Rasca père. La rue était plongée dans la fumée des coups de feu. Un vacarme assourdissant de cris guerriers, de tirs, de chocs d’armes blanches faisait écho dans la rue.

— Fuis, avant que je ne change d’avis ! invectiva le père de Philogène. Ce dernier obéit sans broncher.

Chapitre VI - Un voyage mouvementé.