Chapitre VI - Un voyage mouvementé (1/2).

Philogène en tête de file, le groupe s'aventure au travers des campagnes française jusqu'à arriver en Normandie. Malheureusement, l'étape finale de leur voyage leur réserve une surprise malvenue...

HUBERT Titouan

1/3/20246 min read

          Ils n’eurent pas trop de mal à quitter la ville le lendemain. Après tout, ils n’étaient que quatre, cinq avec le chat, et se perdaient aisément dans la foule. Après être passé à la banque, Achille avait, pour l’occasion, déboursé une petite fortune. Il avait acheté une charrette ainsi qu’un jeune et beau cheval alezan* qu’ils nommèrent Balios. Ce dernier fut un excellent compagnon pour Ajax.

          Durant leur voyage, le groupe de jeunes amis emprunta des routes de campagne perdues et oubliées, se fiant à Philogène qui était particulièrement bon cartographe et qui révéla posséder un excellent sens de l’orientation. Ils avancèrent au gré du roulement des charrois, parfois avec difficulté. En effet, à cause de leur éloignement des routes de grand passage, les chemins qu’ils empruntaient étaient souvent mal entretenus et tortueux. Ils traversaient un jour des clairières vallonnées, un autre des petits bois entrecoupés de pâturages et le suivant des champs de blé. Un soir, ils s’arrêtaient chez un paysan ou dans une auberge, en s’assurant toujours de rendre service et de laisser un généreux pourboire. Philogène marchait toujours en tête, nu-pieds dans la nature.

— Je suis au naturel, moi, c’est tout, se contentait-il de dire pour toute explication.

          Plus tard, lorsque le gaillard était parti se rincer la figure dans un cours d’eau, ses trois amis s’amusèrent à débattre de la raison qui le poussait à avancer les orteils à l’air libre.

— Regardez-le aller, ce beau Robinson Crusoé qui dort chez l’habitant et mange comme quatre dans le premier restaurant venu. Un véritable homme des cavernes modernes, disait Armand aux deux autres avec un sarcasme un peu mesquin mais bon enfant.

— Ne soyons pas méchants, je suis sûr qu’il a une excellente de raison de faire ce qu’il fait, faisons-lui confiance, proposa Achille d’un air innocent.

— Alors là, il ne sert à rien de s’embêter avec ce genre de choses, les reprit Luna. Une bonne partie des raisons qui poussent Fifi à faire ce qu’il fait est cachée au commun des mortels, commença-t-elle d’un air faussement éloquent, comme si elle s'apprêtait à donner une leçon de vie.

          Au même moment, Philogène apparut au milieu des broussailles. Ses habits se trouvèrent accrochés à des ronces dont il voulut se défaire avec gaucherie, si bien qu’il finit par tomber tête la première dans une flaque de boue.

— Le bon Dieu nous a conféré à chacun le don de l’intelligence mais j’ai bien peur que Philogène ait oublié d’accepter sa part, finit par dire Luna devant ce spectacle, ce qui déclencha l'hilarité de ses deux comparses.

          Le groupe d’amis dut faire un long détour afin d’éviter Paris, où la bande à Rasca avait un pied à terre, selon les dires de Luna et de Philogène.

— C’est même de Paris qu’on a fui, je me ferais repérer en deux secondes là-bas, avait-il expliqué.

— Oui, et puis je n’aime pas cette ville. Elle est pleine de mauvais souvenirs pour moi, avait ajouté Luna, sans développer plus que cela.

          Ils contournèrent donc la capitale par la Beauce, région agricole totalement plate. Ils ne traversèrent rien d’autre que des étendues cultivées s’étendant à perte de vue, comme si le monde se résumait à des champs de blé et d’orges et un grand ciel bleu. Parfois, avançant à l’ombre des platanes en bord de route, ils apercevaient gambader au loin des chevreuils et des lièvres, ou s’envoler des fourrées une perdrix ou un couple faisans.

          Une fois qu'ils furent arrivés en Normandie, le paysage qui s’offrait à eux changea. La campagne y était bien plus diversifiée. Les bosquets laissaient place à des enclos où passaient les vaches, les enclos à des cours d’eau où se prélassaient des poules d’eau et des canards, et le cours d’eau à des fermes à colombages et au toit de chaume. Le groupe avançait à bonne vitesse et progressait plus vite qu’il ne l’aurait espéré, grâce aux efforts combinés de Philogène et de Balios.

— La brave bête, elle avance bien ! s’amusait à dire Armand sans que l’on pût savoir s’il parlait du cheval ou du mastoc en tête de file.

          Il s'agissait d'une blague que de toute manière ni lui ni l’équidé ne semblaient comprendre. Philogène, de son côté, mit en garde ses amis alors que ceux-ci s’apprêtaient à demander le gîte dans une ferme.

— Le tout, expliquait Philogène, c’est de ne pas montrer qu’on n’est pas du pays. Les paysans n’aiment pas trop recevoir des étrangers, et par étrangers, j’entends ceux qui viennent d’au-delà de vingt kilomètres à la ronde. Ils sauront à votre manque d’accent que vous êtes des citadins, mais par chance je connais le patois local. Laissez-moi m’occuper de la négoce, je lui dirai que vous êtes mes cousins en visite dans la région.

          Il s'ensuivit une discussion avec un fermier avec un certain embonpoint au nez rouge et à la moustache proéminente. Un képi abîmé était vissé sur sa tête et une pipe enfournée dans sa bouche. Vingt minutes de pourparlers avec le paysan et quatre verres de vermouth, offerts par Philogène qui avait emmené une bouteille “au cas-où”, finirent par convaincre l’agriculteur de les laisser passer la nuit chez lui, dans la grange.

— J’admets, Philogène, que je suis épaté, le complimenta Armand le soir même alors que son interlocuteur s’occupait du cheval avec Achille. Tu as vraiment réussi à le convaincre. Bravo !

— Bien sûr que j’ai réussi à le convaincre. Regarde-moi.

          Philogène avait les joues creusées, les yeux rouges de fatigue et les pieds sales de terre. Il portait aussi des vêtements qui avaient souffert d’un voyage trop long dans la nature.

— Tu crois que c’est par plaisir que je marche pieds nus depuis dix jours ? Non, c’est que je savais pertinemment que les Normands ne sont pas faciles à convaincre, ils sont trop indécis. Donc il fallait une figure rassurante pour qu’on puisse dormir autre part que dans un hôtel surpeuplé où Peccini et la bande à Rasca nous auraient facilement retrouvés. Sur ce, bonne nuit l’ami, finit-il par dire à Armand en se dirigeant vers sa couche, laissant son ami bouche bée.

— Je crois qu’au final, il n’est pas si bête que ça, glissa ce dernier à Achille ainsi qu’à Luna qui passait leur souhaiter bonne nuit.

— Je vous l'avais bien dit, laissa tomber Achille, un brin de fierté dans la voix.

          Ils finirent par arriver à Bayeux qui était, selon Philogène, la dernière étape avant qu’ils n’atteignent leur but. Ils avaient pris la décision de s’arrêter juste une journée en ville puis de partir le lendemain. Ils en profitèrent pour aller visiter la cathédrale et la Tapisserie de Bayeux. Le groupe décida de se poser pour le goûter dans un café, en se régalant de gaufres et de crêpes, avant de retourner visiter la ville. Achille en avait profité pour acheter de la pommade afin d’apaiser la douleur de son épaule, ainsi qu’une boîte d'allumettes sur laquelle était représenté le Mont-Saint-Michel. Sur le chemin cependant, alors qu’ils riaient et discutaient ensemble, Achille devint blême. Il vit, au loin, un visage qu’il reconnut. Une figure fine, anguleuse, sévère. Maître Peccini se tenait au bout de la rue, discutant avec un sergent de ville** et des soldats en uniforme armés de fusils. Au moment même où Achille avait posé ses yeux sur le visage lointain du notaire, il vit avec terreur, en un instant qui sembla en durer mille, maître Peccini tourner lentement sa tête vers l’orphelin et le transpercer de son regard froid. Ce fut ensuite au tour du sergent et des soldats de se tourner vers le jeune garçon et ses amis. Les forces de l’ordre et le notaire vinrent à pas cadencé à la rencontre d’Achille et de ses amis. Le sergent de ville leur adressa la parole.

— Monsieur Philogène Rasca, mademoiselle Luna Vermeil, monsieur Achille d’Alquian et monsieur Armand Lenoir, vous êtes tous en état d'arrestation. Je vous prie de bien vouloir nous suivre.

*Alezan: Cheval dont la robe, c'est-à-dire le poil, est d'un brun qui tend vers le rouge.

**Sergent de ville : Agent de police.

Chapitre VI - Un voyage mouvementé.