Chapitre V - La légende du premier Gardien (2/2).

Le groupe de jeunes amis tente de découvrir où se trouve la demeure des d'Alquian et doit pour cela faire face à une énigme complexe.

HUBERT Titouan

12/28/20238 min read

          Il y eut un instant de silence une fois la lecture de la lettre terminée.        

— Ils écrivent de sacrées histoires, ironisa Armand.

— Bon, eh bien… Puisque tu te révèles être un d’Alquian, alors Fifi et moi te devons ceci, dit Luna en sortant de sa poche un petit paquet en papier enroulé d’une ficelle.

— Que contient ce paquet ? questionna Achille en ignorant son ami.

— Nous savons que ta famille cache un trésor convoité par de nombreuses personnes, Achille, reprit Fifi. Ces gens qui nous ont attaqués, dans le train, je les connais. Mon père… disons qu’il faisait partie de la bande à Rasca.

— Quoi ? crièrent en cœur Armand et Achille.

— Du calme, j’ai coupé les ponts. Je ne me reconnais plus trop dans leurs actions. Enfin bref, ça fait un bail que mon paternel veut mettre la main sur la Rose. Je suis parti il y a quelques années de leur groupe, mais je sais qu'ils la veulent encore.

— Attends une minute, l’interrompit Armand, suspicieux. Vous aviez des informations sur les d'Alquian depuis des années et n’avez pas une seule fois tenté de trouver leur trésor ?

— Tu n’as qu’à ouvrir ce paquet par toi-même, reprit Fifi. Si tu arrives à en faire quoi que ce soit, fais-nous signe.

          Luna tendit un paquet à Achille. Il l’ouvrit et ne vit à l’intérieur qu’un vieux papier jauni par le temps. D’étranges formes étaient dessinées dessus dans un cercle de deux centimètres de diamètre.

— C’est une carte miniature, expliqua Fifi. Ne me demande pas comment ils ont réussi à l'avoir, j'en ai aucune idée... Toujours est-il qu'en dix ans, nous avons eu le temps de l’étudier. Mais le problème, c’est qu’elle doit être tronquée, ou modifiée. Nous avons cherché minutieusement à la superposer avec un emplacement précis sur les cartes normandes, mais rien n’y fait.

— Pour être plus précise, ajouta Luna, nous pensons qu’il s’agit d’une carte. Vous voyez ces lignes ? demanda-t-elle à Achille et Armand en pointant du doigt de minuscules zébrures à l’intérieur du cercle. Il serait logique qu’il s’agisse de rivières, ou de petits cours d’eau. En tout cas, cela y ressemble fortement. Si nous arrivions à les localiser, nous aurions l’adresse précise de ton domaine, Achille.

— Et en dix ans, vous n’avez pas réussi ? questionna Armand.

— Tout le problème est là, renchérit Fifi. Ces cours d’eau, ou même cette colline, ici (il pointa un trait légèrement ondulé au centre du dessin) n’apparaissent nulle part. On a aussi essayé de mettre le papier face à un miroir, pour voir s’il avait été dessiné à l’inverse, mais rien n’y fait.

— Inutile aussi de le mettre devant une source de lumière, ajouta Luna, aucun élément qui pourrait servir à localiser l’emplacement exact indiqué sur la carte ne se révèle.

— Mmmh, commença pensivement Achille. Et à la loupe, rien non plus n’apparaît ? Pas un signe, une lettre, un chiffre ?

— Rien de rien, répondit Fifi.

— Êtes-vous bien sûrs d’avoir correctement étudié les cartes et les fleuves de la région ? Vu la taille de ce dessin, ce ne serait pas étonnant que vous l’ayez raté.

— Encore une fois, non. Nous sommes parfaitement sûrs de nous, même si le dessin fait la taille du sceau… commença Luna avant de s'interrompre et de prendre un air pensif.

— Tu penses que… reprit Armand.

— Il faut essayer, lui dit-elle, perplexe.

— Essayer quoi ? interrogea Fifi, confus.

          Luna ramassa le sceau qui était tombé par terre lorsque Achille avait décacheté la lettre et l'observa. Elle vit que sur la face arrière du sceau se trouvait un petit papier cartonné rond, de la même taille que la carte, sur lequel figurait d’autres traits, d’autres dessins.

— Le sceau ! s’exclama-t-elle ! C’est la clef qui permet de déchiffrer la carte ! Vu que tu étais le seul à être en possession de la lettre, toi seul aurait pu retrouver ton domaine !

— Essaie de voir si tu peux le décoller, lui dit Achille, excité.

          Elle entreprit de le faire, minutieusement. L’autre carte décollée, elle se tourna vers ses nouveaux compagnons et leur dit :

— Maintenant, il devrait suffire de les superposer. Personne n’a de lunettes, enfin quelque chose en verre, qu’on puisse la mettre près d’une bougie pour projeter l’image d’une carte sur l’autre ?

— Comme pour un décalque ? questionna Armand.

— Exactement, reprit-elle.

— Ça devrait se trouver, affirma tranquillement Fifi. De toute manière, c’est l’heure de manger. Achille, vu que tu nous invites à dormir… Tu nous invites aussi à manger ?

          Il partit puis revint quelques instants plus tard les bras encombrés d’un plateau. Il posa sur la table de la chambre des assiettes dans lesquelles fumaient des saucisses, du lard, des œufs et des pommes de terre sautées. Il avait aussi acheté du pain et une bouteille de vin pour l’occasion.

— Eh bien, tu te fais plaisir quand ce n’est pas toi qui paie ! s'étonna Armand.

— De un : si tu n'en veux pas, donne-moi ta part. De deux : on a fait quelques recherches avec la bande à Rasca et on a pu estimer la somme d’argent phénoménale que possède la famille d’Alquian. Je t’assure qu’il ne sera pas sur la paille à cause de ça. En plus, il a besoin de manger. Regarde-le, le pauvre, il est tout maigrichon.

— J'ai l'impression que c'est plutôt toi qui projette ta gourmandise démesurée sur les autres, espèce de goinfre ! objecta Luna avec sarcasme. 

— Je ne vois pas de quoi tu parles, démentit le mastoc qui se retenait de toutes ses forces de fondre sur la nourriture comme un lion affamé. 

          Le groupe se mit à table après avoir chanté une courte bénédiction** et se remplirent le ventre.

— Mmh, j’avais pas mangé aussi bien depuis des mois ! confia Fifi en entamant un énorme morceau de saucisse.

— On ne parle pas la bouche pleine, le reprit Luna en lui donnant un coup de coude dans les côtes. Excusez-le, Philogène est mal élevé, dit-elle à l’attention des deux autres garçons.

— Aaah, c'est comme ça qu'il s'appelle… dit Armand.

          Ils finirent leur repas, puis revinrent à leur première occupation. Après avoir essuyé un verre, Achille y déposa au fond les deux bouts de papier. Puis, il se mit devant une bougie et regarda le fond du verre. Une nouvelle carte, plus complète, apparut sous ses yeux, les traits de l’un complétant les traits de l’autre.

— Ça fonctionne ! déclara-t-il au groupe.

— Laisse-moi voir ça, dit Philogène qui venait de finir son dernier verre de vin.

          Il regarda attentivement la carte, puis annonça :

— Je reconnais cet endroit. C’est sur les côtes normandes, et je sais où ! Si je ne dis pas de bêtises, c’est en hauteur en face de la mer, sur la côte du Bessin*...

          Philogène jeta un autre coup d'œil et ajouta :

— Oui, pas possible que je me trompe, c’est ça. Je reconnais l'alignement de ces deux collines, avec juste derrière… commença-t-il en plissant les yeux sur le petit bout de carton éclairé… Oui, derrière il y a le bois.

          Il siffla, puis reprit :

– Dis, Achille, on se mouche vraiment dans la soie dans ta famille… Ils ont bien choisi leur endroit pour faire leur maison, tes ancêtres.

— Tu… tu pourrais nous y emmener ? interrogea Achille.

— Sans problème. Je me suis tellement abîmé les yeux à me pencher sur ces cartes pendant des nuits entières que je connais parfaitement le coin. On est allés quelques fois en Normandie pour faire du repérage, mais on n’a jamais rien trouvé.

          Le mastoc regarda de nouveau la carte, puis la jeta avec le verre dans la cheminée.

— Tu es fou ! s’étrangla Armand ! Qu’est-ce qui te prend ?

— Non ! cria Achille. Pourquoi fais-tu ça ? demanda-t-il, abasourdi.

— C’est un endroit caché, non ? questionna le grand gaillard.

— Oui, justement ! Et on ne pourra jamais y arriver, maintenant, merci !

— Si, le corrigea son aîné, on pourra. J’ai vu précisément où c’était. Je me suis écorché les yeux sur les cartes de ta région assez de fois pour ne pas me tromper.

— Tu es vraiment sûr ? l’interrompit Armand d’un ton inquiet.

— Je n’aurais pas détruit la carte si ce n’était pas le cas, je te dis. On ne peut pas se permettre de laisser à la bande à Rasca le plaisir de mettre la main dessus. Eux, ou d’autres, conclut Philogène.

— J’en profite pour te poser la question Achille, reprit Luna, sais-tu si d’autres personnes sont à ta poursuite ? Si la bande à Rasca et nous-mêmes t’avons débusqué, d’autres aussi doivent y être parvenus.

— Il y a une fille, ses amies et un notaire. J’ai tout bon ? répondit Armand.

— Euh… Oui. Oui, à peu près, je pense, dit Achille, qui avait totalement oublié Claire et le notaire, maître Peccini.

          Il leur raconta, avec Armand, la soirée. Achille leur parla aussi de l’arrivée soudaine du notaire au monastère.

— Et… Penses-tu que le notaire, là, maître Pechi… commença Luna, hésitante.

— Peccini, souffla Armand.

— Lui-même, merci. Penses-tu qu’il en a aussi après ton héritage ?

— En vérité, je ne peux pas l‘affirmer, mais tout a été si soudain… Il m’a surtout semblé un peu importun pour lui de venir, comme ça, et de tout me dévoiler… Peut-être qu’il voulait trouver mon domaine ?

— Peut-être que les abbés voulaient vraiment juste garder ton magot, sinon, non ? proposa Fifi.

— Non, je ne pense pas, dit sincèrement l’orphelin. Sinon ils l’auraient fait depuis longtemps, rien ne les empêchaient, vraiment. En tout cas, pour le moment, il faudrait se reposer un petit peu. Nous aurons une longue route à entamer demain. D’autant plus que personne, sauf nous, n’a l’adresse. Dormons, maintenant.

          Cette nuit-là encore, Achille se trouvait seul, au fond d’un lit, dans une pièce lugubre. Il reconnut cette chambre humide avec son lit poussiéreux et ses murs jaunis couverts de taches. Il tenait dans ses mains une lettre. Il sut instinctivement qu’il était à l’étage d’une maison qui lui était familière, peut-être la sienne. Alors qu’il s'efforçait de regarder la lettre, il entendit les échos de bottes lourdes faire craquer le parquet en bois. Il sentit une présence terrible grandir dans la maison et la remplir. Il eut à peine le temps de lire sur la lettre les mots : "Achille, prends garde" et plus loin "sept contemplations" que les pas vinrent résonner au plus près de sa chambre. Il vit, au même moment, danser sur les murs les reflets d’une lumière rouge comme le sang, avant de se faire réveiller en sursaut dans la chambre d’auberge calme et fraîche.

*Bessin : Littoral normand partiellement composé de dunes et de falaises calcaires, au nord de Bayeux. NDA

** Les moines et plus généralement les catholiques pratiquants ont pour habitude de bénir la nourriture avant de prendre leur repas. Puisqu'il a été élevé dans un monastère, c'est aussi ce que fait ici Achille, les autres membres du groupe ne l'auraient sans doute pas fait s'il avait été absent.

Chapitre V - La légende du premier Gardien.