Chapitre V - La légende du premier Gardien (1/2).

Après s'être arrêté dans un hôtel, Achille découvre dans une des lettres de ses parents la légende du premier des Gardiens de la Rose.

HUBERT Titouan

12/25/20236 min read

          Le groupe fuit par le chemin indiqué et s’engouffra dans un dédale de ruelles étroites aux pavés glissants. Courant à en perdre haleine, ils passèrent près d’une troupe, fusil à la main, marchant vers la gare. À bout de souffle, les visages rouges et les fronts ruisselants de sueur, ils s'arrêtèrent près d’une terrasse. Ils entrèrent et louèrent une chambre à coucher chez un cafetier.Une fois assise sur son lit, réchauffée par le feu de cheminée, avec Ajax passivement couché sur ses genoux, Luna s’exclama :

— Enfin au calme ! La bande à Rasca ne nous trouvera pas ici.

— Mais tu veux aller où ? questionna Fifi. J’ai plus un sou, et toi non plus, je te ferai remarquer. On a nulle part où aller. On pourra pas rester ici pendant plus d’un jour ou deux, maximum. Et on le retrouvera jamais. Pas grave, au moins la bande à Rasca ne mettra pas la main sur la clef.

— Vous n’avez vraiment nulle part où aller ? demanda Armand.

— Ma famille et moi on a coupé les ponts, expliqua Fifi. Et c’est pareil pour Luna, enfin, à peu près, quoi.

— Nous ne voulons pas nous imposer, mais nous avons sincèrement besoin d’un peu d’aide et si vous pouviez nous en apporter, nous vous en serions reconnaissants, continua Luna d’un ton posé à l’adresse des deux autres garçons.

— Achille, je t’avoue que c’est compliqué pour moi aussi, ajouta Armand. Les abbés m’ont dit que tu avais une bicoque quelque part… C’est vrai ?

— Euh… Oui, oui mes parents m’ont laissé une maison. Mais toi, où vis-tu ? N’as-tu nulle part où aller ?

— Je vivais dans une maison d’ouvriers, j’aidais au travail et à tenir les comptes, et ils me laissaient dormir dans la factorie*, mais la boutique a été rachetée et je ne peux pas rester. Et mes parents… Je n’ai jamais connu ma mère, et mon père est au bagne.

          Ils posèrent tous leurs regards sur Achille dans un silence solliciteur.

— C’est vrai que la situation est compliquée, répondit pensivement Achille.

— Bon, tu nous héberges ou on crèche à la belle étoile ? demanda Fifi qui perdait patience. De toute manière, Luna et moi on n’a nulle part où aller, donc après ce soir ça ira assez vite pour nous, acheva-t-il.

          Son amie lui lança un regard en coin, désapprobateur.

— Vous pouvez venir avec moi, céda l’orphelin après un soupir. En Normandie. J’ai quelque chose là-bas. Si vous n’avez nulle part où aller, vous pourriez venir avec moi. Peut-être. Enfin…

— En Normandie ? le coupa Luna. Où, exactement ?

— Je ne peux pas te le dire, répondit timidement l’orphelin.

— Tu nous héberges mais tu sais pas où ? remarqua Fifi.

— Fifi, la politesse ! lui aboya Luna dans le seul langage qu’il comprenait.

— Pardon Luna, lâcha le mastodonte d’une voix lasse.

— Pas à moi, à Achille, rétorqua Luna.

          Fifi bredouilla une excuse à Achille pour son ton déplacé.

— Je te fais confiance, Achille. Je t’accompagnerai, surtout après ce qui vient de se passer. En plus, tu nous proposes de te suivre, alors… dit Armand.

— Achille, réponds-moi, où dois-tu aller ? renchérit Luna. Où ça ?

— Je n’ai pas l’adresse exacte… Le domaine devrait être quelque part en Normandie. C’est à ma famille.

— As-tu son nom ? l’interrogea Luna.

— Euh… D’Alquian.

          Il marqua une pause.

— Ne me dites pas que vous connaissez ce nom vous aussi.

— Si, répondit froidement Luna.

— Je dirais que j’ai passé dix ans de ma vie à te chercher. Mais je ne veux pas ton héritage ! Loin de là, surenchérit Fifi.

— Comme tous les autres, au fond… ironisa Achille.

          Sans trop savoir pourquoi, il décida de faire confiance au jeune homme. Après tout, se disait-il, il n’est sûrement pas assez malin pour mentir avec autant de conviction.

— As-tu l’adresse précise du manoir quelque part ? demanda la jeune fille.

— Elle devrait être écrite dans mes lettres, une minute…

          Il sortit d’un de ses sacs un tas de lettres. Il se mit à fouiller à la recherche d’une enveloppe différente des autres.

— Ce ne serait pas dans celle-ci ? demanda alors Armand, tenant dans ses mains une grosse lettre cachetée par un sceau en cire rouge qui avait la forme d’une rose.

— Si… Peut-être.

          Il la prit et l’ouvrit avec précaution. Le sceau se défit tout seul et tomba avec un petit bruit sourd par terre sans se casser. Achille n’y prêta pas attention.

— La lettre est assez longue, remarqua-t-il.

          Il la feuilletta, puis reprit.

— Elle relate une légende familiale, ou quelque chose qui y ressemble.

— Tu pourrais nous la lire ? demanda Fifi, curieux.

— Euh… Oui, si tu veux. Voulez-vous l’entendre ? demanda Achille.

— De toute manière, si nous devons t’accompagner dans ta mission de Gardien, nous devons bien savoir de quoi il retourne, dit Armand.

          À l’attention d’Achille Louis Stéphane d’Alquian, dernier Gardien de la Rose,

fils d’Honoré Joseph André d’Alquian et de Magdeleine-Marie Louise d’Alquian,

          Mon fils,

          Il est temps que tu saches ce en quoi consiste d’être le Gardien de la Rose. Laisse-moi te raconter la légende du premier Gardien telle que mon père me l’a racontée, et comme son père la lui a racontée avant lui.

          Le premier Gardien fut Éloi d’Alquian. Il se battait sous la bannière d’un antique roi qui chaque jour étendait son domaine par l’épée. Éloi était reconnu par tous, alliés et ennemis confondus, comme le plus valeureux des guerriers de son temps. Après une longue bataille, un merveilleux serpent aux écailles de rubis pourpre sortit d’en dessous d’un cadavre ennemi et grimpa sur l’épaule droite du soldat. Il le félicita de ses exploits et lui offrit, en récompense de sa bravoure, l’opportunité de devenir le roi des rois de la Terre toute entière.

— Ton mérite n’est pas à prouver. Tu as rendu ton chef immensément riche et plus puissant encore. Que t’a-t-il offert en échange ? Rien. Chaque jour qui passe, tu risques de mourir au printemps de ta vie. Moi, je t’offrirai le monde et ses richesses, je te donnerai tout ce qui peut plaire au héros que tu es. J’irai plus loin encore et protégerai tes soldats et leurs familles de tout mal.

          Ayant prononcé ces paroles, un aigle vint se poser sur l’épaule gauche du guerrier et le mit garde contre les promesses du reptile.

— Quel bonheur et quelle puissance peux-tu lui donner, créature maudite ? À mon tour maintenant de te parler, Éloi. Penses-tu pouvoir recevoir droitement ce qui devrait revenir à d’autres ? Tu dois sûrement bien comprendre que c’est folie d'accepter ce que le serpent prétend t’offrir.

— Oiseau, pourquoi veux-tu empêcher au héros de recevoir ce que le destin vient lui proposer ? Toi qui prives, qu’offres-tu ? siffla l’animal rampant.

          L’aigle s’envola, disparut puis revint.

— Cette Rose est le plus grand des trésors de ce monde. Si un enfant était accompagné par cette fleur, il aurait plus de pouvoir que nécessaire pour conquérir la Terre. Protège-la, cache-la à tous et ne fais appel à elle que pour te protéger des ténèbres. Mais demande-lui de t’aider à conquérir la moindre parcelle de terre en ton nom et tu accompliras la volonté du reptile obscur et de son maître. Ta récompense sera d'une nature plus belle et plus noble qu'un trône et qu'une couronne.

          Le reptile répondit à son tour :

— Me refuser, c’est appeler ma colère. Protège la Rose, et je te poursuivrai pendant mille ans. Vaincs-moi, je ferai pleuvoir sur toi sept fois plus d’épreuves que tu n’en as déjà endurées. Et si tu y résistes encore, ce seront de nouveau sept fois plus de combats que tu auras à mener, et ce jusqu’à ce que tu te sois prosterné devant moi, toi et ta descendance.

          Lorsque le serpent eut terminé de parler, Éloi l'empoigna et lui fendit le crâne d’un coup d’épée. Quelque temps plus tard, le frère et confident d’Éloi, désireux de se voir porter une couronne, tua le premier Gardien, laissant ses fils responsables de garder la Rose. Depuis ce jour, la lignée des d’Alquian n’a cessé de porter l’épée contre le serpent, et le serpent de porter ses crocs contre les d’Alquian. Nombreux d’entre nous sont tombés, réduisant notre nombre au minimum. Fils, tu es le dernier des Gardiens encore en vie : quand bien même des proches pourront t’assister, tu auras à combattre par tes propres moyens l’Ennemi. Va en la demeure de tes ancêtres, trouves-y l’antique trésor des d’Alquian, et bats-toi, fils, comme tes parents se sont battus avant toi.

          Retrouve notre domaine, fils. Ton devoir t’attend.

          Ta famille qui t’aime."

— Ensuite il y a une signature. C’est tout ce qu’il y a d’écrit, conclut Achille.

*Factorie : Siège des bureaux des facteurs d'une compagnie de commerce à l'étranger.

Chapitre V - La légende du premier Gardien.