Chapitre IX - Les sentinelles des abîmes (2/3).

Achille s'aventure dans les ruines qui se situent sous le manoir et y trouve d'inquiétantes catacombes.

HUBERT Titouan

2/12/20244 min read

          L’air était frais. Des gouttes tombaient du plafond dans de petites flaques d’eau. Plic, ploc… Plic, ploc... Puisqu’il ne pouvait rien voir dans l’obscurité, Achille se résolut à trouver un moyen de s’éclairer. Pour se faire, le garçon prit le bâton qui avait causé sa chute, arracha un gros bout de son vêtement puis l’enduit de la pommade qu’il avait achetée à Bayeux. Sa douleur à l’épaule pouvait attendre d’être soignée.

Fiat lux… se chuchota-t-il à lui-même avant d’allumer sa torche de fortune à l’aide de ses allumettes.

          La torche produisit une belle flamme qui éclaira les parois de la grotte autour de lui.

Et lux erat, alleluia ! continua-t-il avec fierté. Achille, tu es un génie, mon grand ! Maintenant, voyons où cette cavité nous mène…

          Il s’aventura plus en profondeur dans les entrailles de la Terre. La cavité s’étendait en un long couloir sinueux. Légèrement ascendante durant les premiers mètres, couverte de bernacles et de petites algues, la grotte redescendait ensuite en une pente plus abrupte après un petit plateau. Achille marchait avec hâte, si bien qu’il glissait parfois dans la descente et devait alors se rattraper sur la paroi humide. Il manqua à plusieurs reprises de faire tomber sa torche dans l’une des nombreuses flaques d’eau qui jonchaient le sol. Le couloir finit par s’élargir quand Achille fit face à un mur de pierre au centre duquel se tenait une porte en bois gondolé. Il l’ouvrit et entra dans une large salle, où l’air se faisait très sec. De part et d’autre, des colonnes en pierres taillées s’élevaient jusqu’au plafond formé de voûtes. De grandes dalles de pierre polies par le temps constituaient le sol. La salle s’étendait sur une bonne dizaine de mètres. Des bancs vides tournaient le dos à Achille, impassibles.

— Où suis-je arrivé… ? murmura-t-il.

          Ses mots firent irruption dans le souterrain et brisèrent le calme ambiant pluricentenaire, avant que ne résonne plus que le crépitement de sa torche. Sur les murs, de magnifiques fresques à moitié effacées par le temps représentaient des personnages en robes accompagnés d’anges. Au-dessus de leurs têtes reposaient des auréoles, autrefois dorées, surmontées d'écritures mystiques en langue ancienne. Le garçon avança timidement au milieu des rangées de bancs et vit au fond de la salle un autel en pierre. À chaque pas qu’il faisait, son esprit s'imprégnait un peu plus de la sérénité dans laquelle reposait cette salle hors du temps. Personne n’avait dû venir ici pour offrir une oblation depuis des siècles, pensa-t-il. De très vieux cierges en métal avait été laissés à l'abandon et à la rouille. Quelques bougies éparses étaient disposées au sol ou sur les dossiers des bancs. Un tapis rouge à motif, type artisanat russe ou iranien, faisait face à l’autel. Il était couvert de poussière et troué en certains endroits.

          Derrière l’autel, sur le mur, un Christ crucifié en mosaïque observait le garçon. Le martyr laissait sa tête reposer sur sa propre épaule rougie par un sang de pigment. Achille croisa son regard de céramique qui semblait lui reprocher, à lui et tant d’autres, de l’avoir abandonné et laissé là, seul avec ses camarades de peinture, pendant des siècles. Le garçon regarda à droite puis à gauche de la pièce et aperçut deux couloirs se prolonger sous les voûtes. Il repéra aussi une porte en bois encastrée discrètement entre deux colonnes. Il tenta d’ouvrir la porte, mais elle était fermée à clef. Il prit ensuite au hasard la direction du couloir de droite. Celui-ci était plus froid que la chapelle et descendait en un escalier rectiligne. Les murs n’étaient pas décorés et le plafond était assez vétuste. Le passage s’ouvrit finalement sur une grande salle, plus grande que la chapelle. Achille hésita un instant puis, réalisant ce que ses yeux venaient de voir, fit un pas en arrière. Il faisait face à une chambre mortuaire.

— Des catacombes… souffla-t-il d’une voix à peine audible.

          Il prit une inspiration, puis continua son chemin. De part et d’autre, des cadavres inanimés étaient tenus debout, attachés aux murs, les membres liés par des cordes. Ils étaient habillés dans des vêtements trop grands pour leurs corps secs et émaciés. Les uns portaient de belles tenues d'apparat, les autres des costumes militaires. L’une était habillée en robe de mariée, signe qu’elle était partie avant d’avoir connu l’amour, l’autre avait gardé une tenue de grande noblesse ample et richement garnie. Quelques-uns portaient des tenues de moines ou de nonnes. Par l’inclinaison de leurs crânes penchés en avant vers le visiteur ils donnaient l’impression d’être une assemblée de juges. Achille eut des sueurs froides devant ce spectacle macabre mais ignora sa propre peur. Une inscription était marquée à l’entrée sur le sol : Fies excubitorem abyssorum.

— Tu deviendras une sentinelle des abîmes, traduit Achille dans le néant. À qui réservez-vous cet avertissement ? se demanda-t-il.

          L'orphelin n’obtint aucune réponse des macchabés qui le regardaient la gueule ouverte et les bras croisés, impassibles.

— Chaleureux accueil que m'offrent mes ancêtres, laissa-t-il faire écho dans le noir. 

Chapitre IX- Les sentinelles des abîmes.