Chapitre IX - Les sentinelles des abîmes (3/3).
Achille s'aventure dans les ruines qui se situent sous le manoir et y trouve d'inquiétantes catacombes.
Le garçon était d’une certaine manière touché à la vue de ses ancêtres au repos. Mais ce n’était pas par simple piété filiale qu’il désirait aller jusqu’au bout de la salle. Deux idées lui étaient venues à l’esprit : d’une part, si chacun des membres de sa famille reposaient ici, où étaient ses parents ? Aucun corps momifié ne semblait assez jeune pour être ou l’un ou l’autre. D’autre part, si chacun de ces ancêtres étaient ici, alors le premier des Gardiens de la Rose, Éloi d’Alquian, devait aussi être présent. Il tenait à le voir, il tenait à voir celui dont il descendait, le premier, celui qui avait fendu le crâne du serpent.
Plus le garçon avançait, plus les corps étaient couverts de vêtements anciens. À leurs pieds gisaient souvent divers objets : des coupes, des plateaux en argent, des bijoux, mais aussi parfois des coffres, des cartes enroulées, des livres. Du plafond haut de cinq mètres environ pendaient d’antiques bannières. Quant aux cadavres embaumés, certains portaient des armures d’apparat, une épée calée entre les bras. Achille avançait encore. Au fil de sa marche, les corps endormis étaient de plus en plus serrés et nombreux. Bientôt, il vit bon nombre d'entre eux vêtus d’antiques tenues de guerriers normands. Ils portaient de longues cottes de mailles et des casques coniques agrémentés d’un segment en métal couvrant leurs nez. De longs boucliers étaient posés contre leur corps. Sur les boucliers, le même symbole était toujours représenté, bien que le style changeât parfois. Quand il arriva au fond de la sépulture familiale, Achille se trouva entouré d’une véritable armée endormie.
La pièce s’ouvrait à son extrémité sur une autre salle, ronde cette fois-ci. Le plafond forme de dôme s’élevait plus haut encore qu’auparavant. Le jeune visiteur tendit sa torche vers le plafond pour l’éclairer. Il y vit le même symbole que sur les boucliers. Une très grande peinture s’étendait sur l’entièreté du dôme. Elle représentait de manière très détaillée un ange en armure qui se tenait derrière un homme qu’Achille reconnut comme étant son ancêtre. L’ange tenait le mortel par le bras, tandis que l’humain frappait un serpent gigantesque à la tête au moyen d’une épée. Représenté de la sorte, il semblait que c’était l’être céleste qui guidait le mouvement du guerrier. Ce dernier était habillé d’une tenue bleue au centre de laquelle figurait une rose dorée. En dessous du dôme, au centre de la pièce, un corps embaumé dormait pour toujours. C’était Éloi d’Alquian.
Au moment où il posa ses yeux sur lui, Achille vit que la flamme de sa torche était sur le point de s’éteindre. Il fit volte-face et courut à toute vitesse vers la chapelle, passant devant tous ses ancêtres sans même y penser. Il ne voulait pas finir ici lui aussi, du moins pas maintenant. Il courut et courut encore, empruntant le chemin inverse, arrivant dans la chapelle, jusqu’à ce qu’il se cogne lourdement contre quelque chose de mou.
— Ayouargh ! hurla la voix familière d’Armand. Nan mais ça ne va pas de courir sur les gens comme ça ?! rouspéta-t-il.
— Vous êtes vraiment irrécupérables, se plaignit Luna. Où sommes-nous, au juste ? demanda-t-elle après que ses deux camarades eurent repris leurs esprits.
Ils se tenaient tous les trois à l’entrée de la chapelle. Achille se releva et prit un instant pour rassembler ses pensées.
— Nous sommes quelque part sous la maison, expliqua-t-il. Mais vous, que faites-vous ici ?
— Nous sommes descendus te chercher, gros malin ! lui dit Luna.
Elle avait une lampe à huile dans la main et Armand avait une grosse corde enroulée en bandoulière.
— En plus, reprit-elle, une énorme tempête s’est levée dehors… Pourvu que Fifi rentre bientôt.
— Luna est descendue en premier. Elle m'a dit d'aller chercher la lampe, j'ai dû faire un aller-retour, c'est pour ça que nous avons mis du temps à te rejoindre. Et toi, pourquoi courrais-tu ?
— Parce que ma torche allait s'éteindre, et je ne voulais pas finir perdu dans la pénombre.
Il avait raison, puisqu’au moment où il prononça ces paroles, les dernières braises de sa torche s’endormaient. — Vous êtes arrivés à temps ! se réjouit-il finalement.
— As-tu trouvé quelque chose, ici ? lui demanda Luna d’un air curieux.
— Des babioles, des petites choses, improvisa-t-il.
Il ne voulait pas leur révéler la présence du mausolée.
— Ça, dit-il en montrant la pièce dans laquelle ils se tenaient, ce devait être une chapelle à usage familial. J'imagine qu'il y a un accès direct à la maison, venez voir.
Il les mena vers les deux couloirs et la porte fermée.
— Celui-ci est inintéressant, j'y suis allé et croyez-moi il n'y a rien d'extraordinaire, dit Achille en pointant le couloir dont il revenait.
Armand lui adressa un regard circonspect, il se doutait de quelque chose, mais décida manifestement de ne pas plus creuser la question.
— Et par là ? demanda Luna en pointant vers l'allée de gauche.
Elle se glissa à l'intérieur avant même qu’Achille eut le temps de répondre.
— Il y a un escalier qui monte ! leur annonça-t-elle, engoncée dans l'entrebâillement de la porte.
Ils la suivirent et gravirent des marches en colimaçon jusqu'à arriver devant un cul de sac. L'escalier continuait de monter mais était bloqué par le plafond. Une dalle de pierre empêchait les jeunes curieux de monter plus en avant.
— Mais, qu'est-ce que c'est que ça ? s'étonna Luna.
— C'est bloqué ? questionna Achille.
— Merci, nous n'avions pas vu, ironisa gentiment Armand.
— Non attendez… commença la jeune fille.
Elle fit glisser ses doigts le long de la pierre.
— Il y a un très léger courant d'air. Nous pouvons essayer de la pousser, je pense qu'elle est juste posée là et qu'elle donne accès à la maison.
— Tu es sûre ?
— Nous n’avons qu'à essayer, proposa Armand.