Chapitre IV - Les passagers du train (2/2).
Des brigands font irruption dans le train et menacent le trio. Aidés par l'arrivée d'un allié surprise, le petit groupe se bat pour sa survie.
— Mesd’moiselles, Messieurs, nous avons la joie de pouvoir interrompre le calme de vot’ voyage l’espace d’un court instant. ‘Y semblerait bin qu’certains parmi vous soiyent en possessions de bien subtilisés… Alors va falloir raquer, et sur le–
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Tête la première, un bélier humain propulsé à toute vitesse percuta le malfrat. Le pauvre finit écrasé entre son assaillant et un siège, inconscient.
— C’est ça qu’il voulait dire quand il parlait d’utiliser sa tête, cet idiot !? s’écria la fille qui accompagnait le dénommé Fifi. Bah bravo… Eh, toi là, fit-elle en se tournant vers Achille. Sois un peu galant, j’ai des objets fragiles avec moi, alors va au premier rang. Je protège ton chat en attendant, ordonna-t-elle comme si Achille était à ses ordres.
Ce dernier n’eut pas vraiment le temps de réfléchir plus que ça. Alors que Fifi cognait comme un sauvage de toutes ses forces l’un des agresseurs, deux d’entre eux se ruèrent sur Achille. Le premier brandit un couteau, l’autre un pied-de-biche. Le garçon esquiva de peu la lame, qui déchira sa veste, mais encaissa à l’épaule gauche un violent coup de la part du second assaillant. Le garçon glissa vers le sol, mais réussit à profiter de sa chute pour faire valser son pied dans l’entrejambe de l’homme à l'arme blanche. Ce dernier se plia de douleur et voulut faire marche arrière, mais fut intercepté par Fifi qui l'envoya au tapis d'un coup de genoux dans la mâchoire.
— Pouah, c’est pas propre ça, Achille ! s’écria une voix familière.
Le jeune homme à terre, blessé à l'épaule, tourna son visage dans la direction de la voix. Il vit Armand s’élancer sur le dernier des bandits sans même hésiter. Il n’eut aucun mal à esquiver les coups de pied de biche, qui étaient pourtant lancés vigoureusement et rapidement par son adversaire. Armand profita d’une ouverture pour cogner rapidement trois fois l’ennemi au visage. En sang, il rejoignit en une chute sourde ses camarades sur la moquette du train.
Les adolescents se regardèrent les uns les autres sans vraiment comprendre ce qui venait d’arriver.
— Armand ! s'écria Achille en se relevant. Mais... D'où sors-tu ?
— Je suis rentré dans le train au dernier arrêt. J'ai cherché dans toutes les voitures en partant de la dernière, quand je suis rentré dans celle-ci je t'ai vu tomber à terre et...
Ils n’eurent pas le temps de se réjouir davantage. La jeune fille, les bras encombrés par Ajax, félinement impassible, s'écria :
— Dehors ! Il y en a encore !
Se précipitant tous aux fenêtres, ils aperçurent d’autres hommes portant le même uniforme que les assaillants montés sur des chevaux, galopant à pleine allure aux côtés du train. Ceux-ci portaient des revolvers à la ceinture.
— Mais c’est pas vrai, pesta Fifi, ils sont combien ?
— Les moines n’exagéraient pas quand ils disaient que t’aurais besoin d’aide, s’exclama Armand. Ils en ont vraiment après toi, Achille !
— Attends… le reprit la jeune fille, pourquoi dis-tu ça ? Leur avez-vous volé quelque chose, vous aussi ?
— Non, c’est à nous qu’ils veulent voler quelque chose ! corrigea Achille. Que leur avez-vous pris ?
— Pas le temps d’expliquer, cria Fifi pour les rappeler à l’ordre. Faut se sortir de là, et vite !
Ils virent l'un des cavaliers pointer son arme vers le train et tirer un coup de feu. La balle traversa la vitre et se logea dans une lampe murale, qui éclata en mille morceaux.
— Il faudrait essayer de rejoindre les cheminots ! proposa Achille.
— Nous allons nous faire clouer sur place dès que nous passerons d’un wagon à l’autre, au moins les voitures du train nous protègent un minimum ! les mit en garde Armand.
— Nous ne pouvons pas rester plus longtemps ici, prévint la jeune fille qui portait toujours le chat sur son épaule.
Elle pointa du doigt à travers la fenêtre l’un des cavaliers qui commençait à aborder le train en escaladant l’une des voitures depuis son cheval, en pleine course.
— Pas la peine d’attendre trop longtemps. Nous avons juste à sauter hors du train, proposa Armand.
— Et comme ça nous nous cassons les chevilles et nous faisons rattraper par les autres ! lui répondit Achille.
— Oui, mais eux ils savent que nous ne pouvons pas rester ici parce que leurs amis vont se réveiller et revenir à la charge, explicita Armand. Vu que des cavaliers abordent déjà les autres voitures pour s'assurer que nous n'allons pas vers le fond du train, moi je suis prêt à parier que l'un d'entre eux tient en joue la passerelle qui relie notre voiture et celle de devant !
— Pas le choix. On fonce ! reprit Fifi. Luna, passe derrière moi. Armand c’est ça ? L'interpelé acquiesça. Tu suis le groupe en dernier avec notre ami l'éclopé. Des questions ?
Deux tirs achevèrent d’éclater la fenêtre, l’un d’entre eux sifflant aux oreilles d’Armand.
— Pas de questions, décampons ! fit ce dernier.
Ils coururent vers l'extrémité de la voiture sous les coups de feu des bandits, essayant tant bien que mal de ne pas trop s'exposer à leurs tirs en se baissant afin de ne pas être vus au travers des fenêtres. Ils arrivèrent devant la porte qui devait les mener à l’autre voiture du train. Fifi eut un instant d'hésitation et n'osa pas emboîter le pas, de peur de se faire toucher par un tir ennemi en traversant la passerelle, comme l'en avait prévenu Armand.
— Bon, pas le choix ! s’exclama le mastoc. On passe tous dans l’autre voiture. Allez-y, courez !
Sans trop réfléchir, pressés par les poursuivants, ils s’engagèrent tous au travers de la porte vers l’autre compartiment du train, sous les balles des cavaliers. Armand fermait la marche. Ils ne s'attardèrent pas dans la voiture où ils étaient arrivés et coururent jusqu’à la porte. Un nouveau problème leur fit face : on ne pouvait pas directement accéder à la cabine de conduite, elle était séparée du train par le tender*.
— D'accord, très bien, et comment faisons-nous, maintenant ? interrogea Achille.
— Euh... commença Armand.
— Escaladons ! lança Luna.
Elle posa le chat sur une banquette, le regarda droit dans les yeux et lui dit :
— Toi, tu nous attends ici bien sagement, d'accord ?
Puis, elle ouvrit une fenêtre à l'extrémité du train et disparut.
— Bonne idée, commenta Fifi.
Il s'élança lui aussi hors du train, du côté opposé d'où tiraient les cavaliers. Armand et Achille se regardèrent.
— Ils sont totalement fous ! se plaignit Achille.
— Oui, mais là, je crois que nous n'avons pas le choix. Allons-y !
Les deux escaladèrent à leur tour le train. Ils sortirent leur haut du corps et parvinrent à s'attacher à une barre de métal qui parcourait la paroi de la voiture et à se hisser sur son toit. Achille voulut monter lui aussi mais fut prit d'une douleur lancinante à l'épaule.
— Argh ! s'écria-t-il de douleur.
Il se tenait d'une seule main au dessus du vide. Armand le rattrapa de justesse et le hissa à son niveau.
— Merci !
— De rien... Pas le temps de parler, fonçons !
Ils prirent leur élan et sautèrent au dessus du vide qui séparait la voiture du tender. Quelques tirs éparses vinrent se perdre derrière eux, jusqu'à ce qu'ils arrivent au niveau de la cabine de conduite, dont l'extérieur était pourvu d'une petite plateforme sur laquelle ils sautèrent. De là, les deux garçons rejoignirent Luna et Fifi en entrant dans la cabine. À leur surprise, ils virent trois cheminots bâillonnés et ligotés, seuls à l'avant du compartiment. Ils défirent leurs liens, et ceux-ci s’écrièrent pêle-mêle :
— Ces saligauds ont voulu faire dérailler le train…
— Ils osent toucher à ma machine !
— On va leur montrer qui est le patron !
— Toi, le grand costaud ! Tu vas prendre ce drapeau et ce sifflet ! ordonna le conducteur, quand on arrive en gare, je veux que tu agites le drapeau et que tu siffles deux coups longs et un court !
— Bien, camarade !
— Les enfants, accrochez-vous ! cria le deuxième ouvrier ferroviaire.
Le train prit de plus en plus de vitesse, tandis que les cavaliers, eux, essayaient de tenir le rythme. Au bout de quelques minutes qui parurent durer des heures entières, ils virent le profil d’une gare se dessiner au loin, et le conducteur actionna les freins du véhicule. Fifi siffla le signal et secoua le drapeau comme on le lui avait demandé. La locomotive fit une entrée fracassante en quai, projetant un nuage brûlant de vapeur. Le cheminot sortit sa tête de la locomotive et hurla :
— La bande à Rasca est là !
Pressés par les poursuivants, le groupe de jeunes descendit du train quatre à quatre et se réfugia dans la gare, sans pour autant oublier d'aller chercher Ajax laissé seul dans la voiture la plus en avant du train. Des cheminots interloqués accoururent auprès du train.
— Camarade, connaissez-vous ces gars qui ont attaqué la locomotive ? s'enquit Armand à l'un d'entre eux.
— Ah ça, oui ! La bande à Rasca s'est spécialisée dans le vol. Ça ne posait pas de problèmes quand il s'agissait de détrousser les bourgeois… Mais ils ont décidé de s'en prendre aux fret ferroviaire, et la compagnie est impuissante ! Vous devriez filer les gamins… Partez par la porte à votre droite avant que la garde ne rapplique ! leur indiqua-t-il avant de sortir sur les quais, alors que des cheminots commençaient à se battre contre des bandits dans un vacarme ahurissant.
*Tender : Wagon qui suit une locomotive à vapeur et contient le combustible et l'eau nécessaires.