Chapitre III - Le départ (1/3).

Achille s'enfuit de chez Claire et rejoint l'un des moines, mais le rendez-vous ne se passe pas comme prévu...

HUBERT Titouan

12/1/20235 min read

          La poitrine en feu, Achille s'effondra sous le saule où il avait rendez-vous avec le Frère Baudoin. Après avoir reprit tant bien que mal son souffle, il observa calmement les alentours. Il était au pied du récif montagneux, en haut duquel se trouvait le monastère. Sans savoir pourquoi, il se sentait observé. Quelqu’un, ou quelque chose, l’épiait. Il crut même apercevoir une silhouette, quand se fit entendre le claquement distinctif des sandales que portaient les moines. L’un d’eux dégringolait la pente. Arrivé au niveau du saule, il fixa son regard dans celui d’Achille, chose difficile au milieu de la nuit, malgré la pleine lune.

— Père Baudoin ? C’est… C’est vous ?

— Pas du tout, mon bon Achille ! Le Frère Baudoin t’attend plus loin !

          Le garçon reconnut la voix du Frère Amaury.

— Mais c’est pourtant lui qui a…

— Achille, nous n'avons pas le temps, il faut filer ! lança le moine essoufflé à mi-voix, comme si on pouvait l’entendre. Je t’escorte jusqu’à la gare.

— Pardon ? M’escorter ? Jusqu’à la gare ? Que se passe-t-il ? demandait Achille, incrédule. C’est la guerre ou quoi ?

— Je t’expliquerai en chemin, on file !

          Ni une ni deux, l’ascète se mit en route, ce qui força Achille à trotter à côté de lui.

— Mais…

— Tu dois partir immédiatement du monastère.

— Enfin je…

— Maître Peccini en a après ton héritage !

          Achille commençait en avoir marre d’entendre ce même refrain.

— Y a-t-il une seule personne qui n’en a pas après mon héritage ?

— Pour faire court : non ! Enfin presque. Viens !

          Il tira par le bras le garçon essoufflé et le fit sortir du sentier qui menait au village.

— Pas de panique, c’est un raccourci, je sais ce que je fais ! rassura le prêtre en coupant à travers un champ de vigne. Ne fais confiance à personne. J’ai bien dit à personne. Ne dépense surtout pas ton argent, tu sortirais du lot. Tu dois écouter exactement ce que le Frère Baudouin te dira, et obéir à la lettre. Encore une fois, crois-nous, mais surtout pas Claire d’Honniroy ! Ou ses copines ! Ou quiconque si ce n’est pas…

— Arrêtez ! cria Achille. J’en ai marre ! Ils s’immobilisèrent en plein milieu d’un champ de vigne. Je n’ai jamais eu droit à rien ! Vous m’avez fait vivre comme un moine, vous m’avez privé depuis toujours ! De mes lettres ! D’amis de mon âge ! De liberté ! Vous ne me permettiez même pas de partir en ville seul ! continuait-il au bord des larmes. Et… Et maintenant, reprenait-il en suffoquant, l’Abbé Marc est parti, et vous… vous… vous me tournez tous le dos comme à un malpropre sans rien me dire, sans raison, sans rien ! Vous me privez de tout sans explication ! Avec vous, je n’ai droit à rien ! Et après vous revenez… comme ça ! Que suis-je moi ?

          Sans ajouter de mot, Achille s’effondra au sol en pleurs. Le moine posa les valises, s’accroupit auprès d’Achille et le prit dans ses bras.

— Achille… Tu ne sais plus ce que tu dis…

— Ne dites rien ! lâcha le garçon en larmes. Où sont mes lettres ? De toute manière vous mentez tous, acheva-t-il avant de se remettre à pleurer de plus belle.

          Il pleura ainsi plusieurs minutes, avant de commencer à se calmer, après quoi l’ascète prit la parole.

— Achille, tu sais que tu es comme un petit frère pour moi. La seule raison pour laquelle tu ne pouvais pas sortir seul en ville, c’était pour éviter ce qui vient de se passer : que des gens mal intentionnés se rapprochent de toi. Je sais qu’on t’a mené la vie dure, mais si tu avais été habitué à tout recevoir sur un plateau d’argent, si tu n’avais pas appris à apprécier la simplicité, qu’aurais-tu fait de ton héritage ? Nous aurions risqué de te voir jeter au loin un trésor. Sache que ton héritage dépasse tout ce que tu peux imaginer. Je ne peux pas t’en dire plus pour l’instant, mais il est la clef de quelque chose de bien plus grand qu’une simple somme d’argent.

          Achille reprenait son souffle et écoutait le moine lui parler calmement.

— Ton enfance a été dure, parce que tu as les épaules pour supporter ces épreuves, et cela, nous le savons. Les difficultés que tu as à surmonter, elles ne sont trop grandes que si tu décides d’abandonner. C’est par nécessité que nous t’avons éduqué comme cela. Le nom d’Alquian ne peut être porté que par des êtres d’exception.

          Regardant autour de lui, le Frère Amaury marqua une courte pause dans sa tirade, puis reprit.

— Regarde où tu es. Dis-moi, où sommes-nous ?

— Dans un… dans un champ.

          Le jour commençait à poindre timidement.

— Exactement. Toi, tu es comme un cultivateur.

          Il y eut un moment de silence.

— Je vois pas ce que vous voulez dire, laissa tomber l’orphelin, encore secoué par les émotions.

— Ce champ est ton avenir. Tu en as la charge. Ce que les Frères et moi avons fait, c’est de t’engager à travailler dur, jour et nuit, à prendre soin de ce domaine fertile, déclara-t-il en prenant dans ses mains une poignée de terre. Tu aurais pu, c’est vrai, partir, et délaisser le travail du champ. Mais en revenant, un matin, tu n’y aurais trouvé que des mauvaises herbes, des pierres, des racines, et aucune bonne graine, ou alors trop peu. Et quand bien même, par miracle, de bonnes pousses y auraient grandi en nombre, alors en tout aussi grand nombre auraient été les parasites ou les ronces. Tu aurais perdu tellement de temps à différencier les bonnes pousses des autres que la récolte aurait été médiocre. Mais à l’aube de ta jeunesse, lève-toi, et regarde autour de toi. Dis-moi ce que tu vois.

          Achille prit une grande inspiration, se frotta le visage et ouvrit les yeux. En se remettant debout, il ancra solidement ses jambes dans le sol. Il vit devant lui des rangées de vignes qui savouraient les premiers rayons du soleil.

— Je vois…. commença-t-il timidement.

— Oui ?

— Je vois des rangées de vignes, lâcha-t-il peu convaincu.

— Exactement. Et ce sont de belles vignes, pas des ronces. L'agriculteur a dû travailler avec acharnement. D'ailleurs si nous ne voulons pas nous faire attraper par lui, nous devons partir. Je te rappelle qu'il s'agit d'une propriété privée et que nous n'avons rien à faire ici. Sèche tes larmes, va ! Un nouveau jour arrive, et avec lui des épreuves, et le devoir.

— Quel devoir ?

— Le devoir du dernier Gardien de la Rose.

          Ils continuèrent de marcher pendant une demi-heure avant d’arriver en face de la gare. Pendant tout ce temps, le garçon n’avait fait que ressasser encore et encore en son esprit ces quatre mots : “Gardien de la Rose”. Le Frère refusait de lui en dire plus à ce sujet, disant que tout lui était expliqué dans les lettres, et qu’il n'aurait qu'à les lire de son côté. S’asseyant enfin sur un banc du quai, Achille s’endormit.

Chapitre III - Le départ.