Chapitre II - Une curieuse fête (3/3).

La soirée chez Claire tourne au calvaire pour Achille, qui découvre des nouvelles inquiétantes.

HUBERT Titouan

12/1/20236 min read

          Achille, laissé bouche bée devant l’entrée fracassante des trois filles, emboîta le pas de Charlotte, qui sortait, mais fut arrêté par Claire.

— Mademoiselle, vous devez…

— Je ne dois rien du tout, le coupa-t-elle. Tu vas t’asseoir bien gentiment et m’écouter, Achille !

— Oui, d’accord, très bien mademoiselle, à vos ordres, bégaya Achille en face de cette furie au teint aussi rouge que le tapis qui ornait le sol.

          Il s’assit presque en tremblant tandis que Claire le fusillait du regard. Cette fille est un véritable démon ! pensa-t-il, sincèrement effrayé. Elle ferma la porte et s’assit en face de lui.

— Achille, commença-t-elle, que t’a dit Armand ? répète-moi tout mot pour mot !

— Oui, non, je veux dire, pas grand chose, répondit-il.

          Il reprit son souffle.

— Ne me fais pas perdre mon temps. Réponds !

          Achille ferma les yeux, prit une profonde inspiration et reprit son courage.

— Il… Il m’en a assez raconté, finit-il par répondre sur la défensive.

— C'est-à-dire ? s'impatienta la jeune femme.

— C'est-à-dire, ne croyez pas que je sois naïf, Claire. Je commence à comprendre où réside votre intérêt, à vous tous qui me tournez autour, dit Achille en un souffle.

— Ah oui ? Que voudrions-nous ?

— Vous n’en avez qu’après mon héritage, je pense !

— Haha ! s’esclaffa la jeune demoiselle d’une voix cassante. Armenteur a déjà eu le temps de pourrir ton esprit avec ses mensonges ? Je vois. C’est tout lui ça.

— Et vous, alors ? s’emporta Achille qui avait totalement oublié sa timidité. Pourquoi m’auriez-vous invité ?

— Pour te protéger des autres, figure-toi ! lui lança-t-elle amèrement.

— Me protéger ? C’est la meilleure ! dit-il en se levant. Maintenant, vous m'interrogez comme si j’étais un criminel et il n’y a pas un instant vous envoyiez vos amies faire une chasse à l’homme !

— Pense ce que tu veux. Je te préviens maintenant, Armand va te trahir. Si j’étais toi, je m'éloignerais de lui. Ce n’est pas une bonne fréquentation. Et arrête de me vouvoyer.

— Parce que vous… pardon, toi ; tu es mieux que lui, tu es honnête peut-être !

— Merci de te soucier de la droiture de mon âme, petit moine, fit-elle, ironique. Si je voulais te voler ton héritage, comme tu le prétends, ce serait déjà fait.

— Juste comme ça, en un claquement de doigt ? trancha-t-il avec distance. J’ai du mal à croire que tu m’accueilles à bras ouverts, tout ça pour m’éloigner de ceux qui en ont après ma richesse, répondit le jeune homme.

          À ces mots, l’hôte fronça les sourcils. Son visage prit un air d’incrédulité. S’oubliant l’espace d’un instant, elle le reprit.

— Attends, Achille… Tu sais pourquoi les gens en ont après toi, pas vrai ?

— Pour mon argent, bien évidemment ! Quoi d’autre ? Qu’est-ce qui pourrait bien les intéresser d’autre que ça ?

— Ce n’est pas vrai… Elle enfouit un instant son visage dans ses mains, puis plongea son regard dans celui de son allocutaire. Tu saisque c’est pour une autre raison que tu es en danger, pas vrai Achille ?

— Comment ça, en danger ? questionna le garçon. Qui a parlé de danger ?

— Tu sais que tu es le dernier Gardien de la Rose ? Tu sais ce qui t’attend, non ?

— Quels gardiens ? Quelle rose ? De quoi tu parles ?

— Tu n’es pas au courant ?

— Je commence à avoir l’habitude, fit-il plein d’ironie. Pourquoi tout le monde en sait plus que moi sur mes propres affaires ?

          Claire n’eut pas le temps de répondre. Charlotte entra dans la pièce en trombe, essoufflée. Pris de surprise, ils se levèrent du canapé et se tournèrent vers elle.

— Claire ! Il est parti par le jardin, on a pu suivre ses traces. En fuyant, il a abîmé les bégonias de ta mère, mais surtout, il a fait tomber ça, fit-elle triomphalement. Elle posa une lettre sur la table. À l’envers, Achille la déchiffra sans peine tandis que Claire la lisait.

Armand,

Dites à Achille de venir au saule, vers trois heures du matin.

Il comprendra. Il doit venir seul.

P. Baudoin.

          Frère Baudoin était donc ami avec Armand, se réjouit intérieurement Achille.

— Achille, dit Claire, peux-tu attendre ici avec Charlotte ?

— Puis-je voir le papier ? demanda Achille.

          Si elle lui accordait cela, le jeune homme était prêt à la pardonner. Il hésitait encore, peut-être pouvait-il lui accorder sa confiance, après tout… D’autant plus qu’il ne savait pas qui des moines était de son côté. Elle avait juste à montrer patte blanche.

— Cette lettre ne te concerne pas, mentit Claire, comme si de rien n’était. Il l’a volée à une amie, je dois aller lui rendre. C’est mon anniversaire, il n’aurait pas dû être là, cette responsabilité m’incombe. Et puis, je dois bien être auprès de mes invités… Ne bouge pas, je reviens dans une minute.

          Elle partit en laissant devant la porte Charlotte qui croisait les bras, l’air de dire “on ne passe pas”. Ainsi, Claire est bien indigne de confiance, comme me l’a dit Armand, pensa l’orphelin. Et elle se permet même de me retenir prisonnier…

— Bon, nous n'avons plus qu’à attendre le retour de Claire, fit-il, innocemment. Elle est assez gentille finalement, ne trouves-tu pas ?

— Elle est très intelligente, c’est elle qui dirige notre groupe, affirma fièrement Charlotte, qui barrait la route d’Achille.

— Vous vous connaissez depuis longtemps ? demanda-t-il en s’approchant d’elle.

— Oui, depuis des années, répondit-elle sèchement. Ne crois pas que je ne vois pas ce que tu es en train de faire. Claire t’a dit d’attendre.

          Elle pointa du doigt le canapé.

— Tu peux t’asseoir ici, il ne t’arrivera rien, sois en sûr.

          C’en est presque effrayant, pensa Achille. Elles me retiennent ici et n’essaient même pas de le cacher… Il ne perdit pas son sang froid. Il n’avait jamais vécu une situation aussi extraordinaire. Au fond de lui, il prenait presque plaisir à être emmêlé dans cette affaire complexe dont il était apparemment le centre. Il fit un pas de plus vers elle.

— Ne puis-je même pas me retirer aux commodités ?

— Non, pas tant que Claire n’est pas revenue.

— Et si j’ai soif ?

— Tu peux boire l’eau des plantes, si jamais, fit-elle en indiquant un pot de fleurs.

          Achille fronça les sourcils. Il ne pouvait pas la pousser, ni lui faire un quelconque mal. Il n’était pas un goujat, se dit-il. Il ne pouvait pas non plus lui jeter le pot de fleurs au visage, bien que ce fût tentant. Il devait réussir à partir sans causer le moindre mal. Il aperçut un piano à queue au fond de la pièce. Il eut un grand sourire.

— Puis-je jouer un peu de piano ?

— Si ça te fait plaisir…

          Il prit une inspiration, releva ses manches, puis fondit sur les touches en ivoire. D’une main de virtuose, il joua une mélodie endiablée sur l’instrument.

— Tu peux bien te mettre à jouer si tu en as envie, ça ne changera rien, dit Charlotte. Je ne te laisserai pas partir.

          Achille l’ignora et continua son morceau. Un ou deux invités se présentèrent timidement et poussèrent Charlotte pour venir auprès du pianiste. Puis d’autres vinrent et s’approchèrent, et d’autres encore. Bientôt, une petite foule de jeunes encostumés se pressa sur le pas de la porte en poussant Charlotte.

— C’est un virtuose !

— Quel talent !

— Tu joues si bien !

          Les compliments fusaient à droite et à gauche. La pièce se remplit en peu de temps, tant et si bien que Charlotte en fut poussée au-dehors. Elle dut jouer des épaules afin de revenir au premier rang, pour finalement s’apercevoir qu’Achille avait été remplacé par un autre joueur de piano.

— Quel malappris ! souffla-t-elle.

          Elle tenta de s’élancer à sa poursuite, mais il était déjà loin.

Chapitre II - Une curieuse fête.